Chapitre 06      



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Seuls les idiots croient la chance








Chapitre 06: Courage

gif décoratif en début de chapitre - jeune femme qui court - il est écrit en blanc, au centre Run Away

« Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
Pour partir. Coeurs légers semblables aux ballons
De leur fatalité jamais ils ne s'écartent
Et sans savoir pourquoi disent toujours, Allons. » -Baudelaire




Finalement elle se décida. Elle devait aller vite, très vite. Nicholas était peut-être trop occupé avec sa belle, mais Marie, pourrait très bien se débrouiller seule. Décidée à réussir cette fois, elle ne laisserait rien l'arrêter, elle irait jusqu'au bout.

Première étape : la diversion.

C'était la plus capitale. Nicholas lui avait récupéré le téléphone, dans ses dernières « visites ». Il allait donc lui servir, dans une activité assez ludique. Elle avait déjà réfléchi à comment mettre hors service ces fichues caméras de surveillances, sans vraiment trouver. Mais maintenant, avec le téléphone entre les mains... « Ne pas lâcher l'objectif c'est réussir un tir, se dit-elle. » . Après avoir endommagé la caméra, elle disposerait de trente secondes. Trente secondes pour se glisser dans la cage d'escalier et sortir par la porte de service. La caméra tomba brutalement.

« Trente secondes Marie, trente secondes, se répéta-t-elle. »

Elle récupéra la carte de service « empruntée » à une femme de ménage du centre et se précipita hors de la chambre en deux foulées.

Vingt-cinq secondes, 25.

L'alarme de sécurité se déclencha, combien de fois l'avait-elle entendu, seule dans sa chambre ? Des portes claquèrent et brusquement ce fut comme si le temps s'accélèrait d'avantage.

Vingt-trois secondes, 23.

Elle ouvra la porte des escaliers et dévala deux étages. Chaque marche claquait sous ses chaussures, elle sentait l'adrénaline monter en elle, comme une gazelle qui tentait d'échapper à la panthère. Son souffle rapide, se stabilisa quand elle descendit la dernière marche et qu'elle poussa la porte de sortie des escaliers. Marie ne prit même pas la peine de tourner la tête en arrière.

Quinze secondes, 15.

« Mlle Sullivann revenez ! »

Elle entendit les cris des infirmiers, médecins, gardes de sécurité qui tentaient en vain de savoir où elle se trouvait. Elle avait l'impression de revivre, le sang battait à ses tempes et elle se sentit capable de voler sur le moment. Les secondes lui étaient comptées, elle le savait, mais sa « sortie » était comme un antidote à cet endroit. Elle ressentait le stress, elle voyait les couloirs défiler devant ses yeux et pourtant tout lui semblait si lointain. Elle passa la salle, la véranda, la cuisine, les trois dernières chambres et le bureau des médecins. Elle courrait si vite. Encore à l'intérieur elle sentait ses cheveux qui volaient, rien qu'à sa course. Elle se souvînt de tous les moments que cet endroit lui avait volés, toutes les personnes qu'il lui avait retirées. Ses parents, ses amis, grands-parents, cousins, tantes, oncles, plus personne ne se souciait de son existence. Ce matin en se levant, encore une fois déçue, elle avait décidé de changer les choses par elle-même, et de prendre le taureau par les cornes, seule solution potable pour en venir à bout. Elle passa en cuisine.

Huit secondes, 8.

Il n'y avait personne, il faisait noir, il lui faudrait au moins une vingtaine de secondes pour s'habituer à l'obscurité, jamais elle n'aurait le temps. Jamais elle n'aurait le temps de sortir. Et jamais elle n'avait auparavant pénétré dans cette pièce. Elle se remémora alors des paroles de son tuteur, que ses parents faisaient au début venir au centre, avant de cesser, pensant que ceci ne servirait plus à rien. Elle se souvenait de ce qu'il lui avait dit un jour « si tu te retrouves dans une situation intense, essaie de voir la situation de loin, neutre, comme si tu devenais fantôme de ton corps. ». Elle se souvenait de ses paroles et aujourd'hui elle avait le moyen de les mettre en application. En reprenant son souffle elle se concentra et ferma quelques peu les paupières avant de commencer à avancer. Elle se cogna, une fois, deux fois et une casserole tomba.

Trois secondes, 3.

Elle entendit du bruit derrière et ferma les yeux. Elle n'a plus le temps de réfléchir à ses gestes, elle devrait donc faire confiance à son subconscient. Marie mit ses mains en avant et se mit à courir, dans l'obscurité, c'était sa dernière chance de pouvoir sortir de cet endroit maudit, sa dernière chance de pouvoir se remettre à vivre, comme si sa vie avait été mise en pause pendant quelques années. Ses jambes semblaient ne plus s'arrêter de courir, une fois la porte passée, elle serait libre.

« Elle est dans la cuisine ! Dans la cuisine ! »

Une seconde et elle passerait la porte, une seconde et tout redeviendrait normal, une seconde et elle ne serait plus enfermée dans une chambre minable, une seconde et elle serait enfin à la hauteur de Nicholas. Cette pensée lui donna la force de faire le dernier pas.

Zéro.

La lumière du réverbère rompit aussitôt l'obscurité et Marie rouvrit les yeux. Elle avait réussi ! Réussi à sortir de cet endroit. Elle n'en revenait pas, une joie indescriptible traversa ses veines et lui remplit les poumons et des larmes se fixèrent au coin de ses yeux. Malheureusement elle n'eut pas le temps de se réjouir plus, qu'elle entendit la porte de la cuisine claquer. Elle se retourna et regarda devant elle, à gauche un parking et à droite un petit chemin qui menait sûrement à un jardin. Par élimination, le jardin serait sûrement sans issue, elle prit à gauche. Ce soir, elle ne pouvait pas se permettre d’échouer une nouvelle fois, elle ne l’accepterait pas. Elle sentait la fraîcheur de la nuit, mais aussi celle de l'hiver qui lui glaça les joues et son souffle chaud s'échappant de sa bouche rendit de la buée. Il n'y avait pas de neige à terre, heureusement pour Marie. Mais le sol semblait gelé et elle n'avait pas le temps de vérifier ou ses pieds se posaient. La blonde décida en une seconde de ralentir ses foulées mais de ne pas traîner, au risque de se faire coincer. Elle savait déjà où se rentre mais avant ça, elle devait passer dans un endroit symbolique pour elle, un endroit qui avait signifié tant de choses avant. Mais il fallait avancer, et maintenant elle pouvait avancer, elle avait enfin compris comment. Le temps était venu de tourner une page de sa vie pour en commencer une autre. Et cela commençait par un passage dans le passé avant de penser à l'avenir. Marie avait enfin compris son erreur, elle ruminait le passé, et refusait d'avancer. Sa grand-mère était partie mais elle, elle était toujours là. Son deuil allait bientôt prendre fin, même si elle savait qu'avant, elle aurait mal, plus que jamais, puisque une part d'elle ne cesse de penser qu'elle l'a abandonné, laisser sans aide, et pour ça elle lui en voulait, elle ne pourrait plus jamais la revoir, lui parler, passer du temps avec elle. Mais une part d'elle-même serait toujours relier à elle, parce qu'elle portait le même prénom : Marie.
Comment avancer sans une personne si sans cesse on vous répète son nom ? Pour Marie, avancer revenait à trahir sa grand-mère, l'abandonner à son tour, et chaque fois que ses pensées revenait vers elle, la nostalgie faisait place à de la tristesse, incapable d'avancer. Ses souvenirs remontèrent encore et Marie les chassa, pour se concentrer sur sa « mission évasion ».
Elle quitta enfin le parking. Enfin ! Elle avait réussi à sortir ! Les grilles étaient grandes ouvertes, mais encore une fois elle n'eut pas le temps de se réjouir qu'elle entendit des voix au loin. Des phares rentrèrent dans son champs de vision, et l'aveugla, elle quitta la route pour se mettre sur le bas-côté, à l'aveuglette. Ses rétines s'adaptèrent à la lumière qui venait de passer pour ensuite retrouver l'obscurité, tout redevînt clair. C'était la voiture de Nicholas. C'était sa voiture, sur le parking, garé en plein milieu. C'était la voiture de Nicholas... Et il l'avait vu, impossible de la rater en plein milieu de la route. Elle était grillée. Non, elle ne voulait pas le croire, elle devait continuer d'avancer, elle avait réussi à sortir, ils n'allaient pas la faire rentrer de nouveau sans son consentement, d'aucune façon.

« Marie ! Marie reviens je t'en prie ! Marie ! »

C'était lui. Il lui demandait de rentrer, il voulait aussi l'enfermer, il la croyait donc folle. Ce fut la pensée de trop. Elle se retourna et partie. Sans plus se retourner. Elle avait repris sa course, et plus personne à présent ne pourrait l'en empêcher. Elle était libre. Trop tard, Nicholas. Elle fuyait pour la liberté. Parce qu'elle avait le courage de le faire.

Vingt minutes plus tard.

Une violente pluie commençait à tomber et la nuit qui était déjà tomber. L'air était glacé et fouettait le visage de Marie mais peu importait. Il pleuvait mais il ne neigeait pas, ce qui était déjà un bon début. Mais une tempête se préparait, on le sentait dans l'air plus que glacial. Elle tourbillonnait, avec grâce, sous le kiosque du parc de la ville, le kiosque à musique, une fois par semaine, un groupe, souvent de jazz, venait jouer en été. Aux alentours et sur les marches, la neige avait envahi tout l'espace, on voyait des nuages blancs tout le long du parc. Les arbres étaient à nu face à l'hiver. Le kiosque, grand en lui-même avait une forme de cocon, comme s'il cherchait à protéger les personnes en dessous, une forme comme le carrosse de Cendrillon dans le conte, sur chaque barre qui soutenait le toit, un lampion était accroché. Marie passait de barre en barre en dansant, comme une ballerine, elle en possédait la grâce et la légèreté. Elle dansait, comme si le monde extérieur ne l'atteignait plus, elle tourbillonnait au rythme d'une valse silencieuse. Pourtant, c'était comme si la musique faisait écho dans ses tympans. La seule différence était qu'elle dansait seule. Mais surtout elle n'était pas heureuse, oh non. Des larmes incessantes glissaient le long de doux et fin visage. Seulement vêtue d'un jean et une veste en laine, son corps subissait les effets du froid. Seulement son esprit restait concentré sur la victoire, la victoire d'être sortie de cet endroit. Un détail vînt encore la titiller davantage, alors qu'elle tentait de monter sur une barrière, elle tînt en équilibre. Elle mettait, comme les arbres, sa peau à nu face au froid. Un brouhaha. Des voix qui semblaient crier son nom au loin. Avec la pluie, Marie distinguait seulement quelques bribes de mots. Elle crut reconnaître des voix. Elle ne pouvait prendre de risques. Elle sauta de la barrière, pour atterrir dans la neige plus froide encore que l'air lui-même, ou la pluie qui ne cessait de tomber. Un éclair déchira le ciel, s'ensuit le bruit. Marie fila dans la noirceur de la nuit. Comme un chat.

Trente minutes plus tard.

L'orage faisait rage, ce soir-là. Marie avait couru dans la neige, sous la pluie, l'orage, les éclairs, mais il fallait qu'elle le voit, c'était son dernier espoir. Il lui manquait énormément, depuis sa dernière visite et elle a besoin de lui, à ce moment-là, et elle ne voulait plus de séparation avec quiconque. Elle était seulement une jeune femme égarée. Elle sonna, sur le perron de la porte, quelques peu abritée. Quelques secondes plus tard, on vînt lui ouvrir, et la porte s'ouvrit sur un homme, au téléphone. En la découvrant sur le pas de la porte, trempée jusqu'aux os, ici devant chez lui, il faillit lâcher son téléphone.
Un père retrouvait sa fille.