Névrose      



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Seuls les idiots croient la chance






Névrose


gif décoratif en début de nouvelle - une jeune femme marche les cheveux au vent sur un toit

« Regarde au loin ton chemin mais concentre-toi seulement sur les obstacles à portée de mains. » -Daniel Desbiens



Avoir cette boule dans l'estomac. L'impression que son souffle se coince quelque part dans ses poumons sans réussir à dégager cet oxygène. Des symptômes de la nervosité, de l'anxiété, parce que oui, Laura était inquiète. La jeune femme se sentait étrangement mal, sans en connaître vraiment la raison. Elle aurait pu penser que c'était un signe, que quelque chose ne tarderait pas à se produire mais elle n'était pas devin et refusait encore plus de suivre ce que son instinct lui soufflait. Elle tentait de faire taire ce que dernier s'entêtait à lui répéter sans cesse, mais Laura pouvait autant se montrer bornée. Qui gagnerait cette bataille interne infernale ?

« Tu penses à quoi Laura ? »

À rien voulait-elle répondre. Laura laissait son esprit vagabonder au gré de ses envies, suivant le mouvement du vent. Mais c'était peut-être trop futile comme réponse de dire « rien » quand la vérité était tout, trop de choses, c'était un flou total, un brouhaha constant. Des pensées qui s'entrechoquaient, qui n'allaient pas dans le même sens et qui finissaient par se perdre, on ne savait où. Peut-être qu'elle réfléchissait trop au final. Ou pas assez ? Quoi que fut la réponse, elle était de plus en plus concentrée, emportée par ces étranges pensées.

« Laura, je te parle.
— Je repensais au dernier cours d'anglais, répondit-elle sans se déconnecter de son flot de pensées. »

La jeune femme lui adressa un sourire pour appuyer sa réponse et cela fonctionna. C'était si simple, après tout. Son interlocutrice passa à autre chose sans se douter que ce n'était qu'un mensonge, un de plus parmi tant d'autres. Enfin, qui pouvait vraiment savoir ce qu'elle pensait ? Peut-être ne voulait-elle pas se mêler au bordel de Laura. Et un mensonge, qu'était-ce au final ? Laura se confortait dans son idée : un mensonge permettait de dresser une barrière et donc de se protéger. Triste définition.

« On se voit demain ?
— Comme toujours, devant la grille, huit heures. »

Histoire de routine, évidemment. Une journée, puis une autre et la semaine est passée. On finit par ne plus compter les jours pour avancer. Et le tout devient automatique. Erreur. Alors que son « amie » se leva pour quitter la salle d'étude, Laura, elle, prit tout son temps pour ranger ses différents cahiers. Alors qu'elle rassemblait ses affaires, elle tomba sur la feuille où elle avait commencé à écrire, plus tôt pendant l'heure avant de se perdre dans ses pensées. Il n'y avait que trois lignes proprement écrites, le reste du texte se perdait dans des spirales dessinées au crayon à papier. Des spirales qui se coupaient, se longeaient, se superposaient pour s'arrêter brusquement dans un trait épais. Elle ne se rappelait de les avoir dessiner et pourtant elles étaient là. Elle froissa la feuille en vitesse avant de la jeter quand elle eut rassemblé ses affaires et elle quitta ensuite la salle. Grande heure de sorties, les couloirs étaient bondés pour rejoindre la sortie du lycée. Elle vit une tête, puis deux, trois avant de perdre le compte se retourner sur son passage. Ces chuchotements, demis mots en permanence dans son dos. Laura ne pouvait plus les supporter. Et pourtant, elle le devait, jusqu'à chaque parole qu'elle ne comprenait pas intégralement. Chaque simple mot la brisait, comme on brise du verre. Ce n'était pas seulement douloureux, c'était se retrouver au milieu des conversations contre son gré, à cause du voyeurisme malsain des gens qui l'entouraient, ce besoin constant qu'ils avaient de tout savoir, sachant que cela ne les regardaient absolument pas et par tous les moyens. Ça la mettait hors d'elle. Laura était en colère, soudainement elle bouillonnait, c'était une immense vague qui se préparait à s'échouer avec grande violence sur le rivage et sur son passage tout emporter. Elle passa la grille du lycée et subitement, elle découvrit la voiture si reconnaissable de Lucas. Sa colère tomba en un instant, surprenant Laura elle-même. L'anxiété qui la titillait s'apaisa de même alors qu'elle avançait vers sa voiture. Parfois, elle détestait l'effet qu'il pouvait avoir sur son corps, son esprit, ses pensées, son coeur, tous ses effets qui lui donnait l'impression qu'elle perdait la tête par moment. Elle l'aimait aussi pour ça, Lucas faisait taire toutes ses voix dans sa tête et il ne restait que la sienne. La jeune femme ouvrit directement la portière passager pour se glisser sur le siège avant de refermer sans aucune délicatesse la portière.

« Tu veux en parler ? Demanda-t-il en mettant le contact.
— Encore ? Répondit-elle en se redressant.
— Si ça te fais du bien.
— C'est plus comme enfoncer le couteau plus profondément Lucas. »

Dans ces moments, il avait l'impression d'être inutile, transparent, sans aucun intérêt car Laura était repartie dans son flot de pensées et il n'arrivait jamais à temps pour l'empêcher de se blesser, même dans sa tête. Si seulement il savait la vérité. Ce qui le tourmentait le plus, était de ne pas savoir. Quelle était cette chose ou cette personne qui l'avait tellement brisé qu'elle ne tenait plus la route toute seule, sans vouloir se blesser en permanence, pensant qu'elle le méritait ? Chaque nouveau jour qui passait rendait son supplice de moins en moins possible à supporter. Lucas restait désemparé face à la jeune femme, elle semblait si fragile mais si fermée. Il ne savait s'il avait réussit à faillé sa coquille pour qu'elle le laisse simplement apercevoir ce qui traversait son esprit, en permanence. Vaincu une nouvelle fois aujourd'hui, il s'apprêtait à allumer la radio pour mettre la seule station qu'elle écoutait mais elle le devança en arrêtant son geste. Il voulait une part de vérité ? Laura était incapable de lui donner.

« Je voulais de l’amour, dit-elle sans flancher pour garder sa voix haute. Que ça me transperce le coeur à tel point qu’à chaque fois que tu apparaisses, mon souffle se coupe, que quand tu sois obligé de partir mon coeur se brise, un peu plus à chaque départ. Je voulais que tu m’aimes. Rien de plus…
— Tu décris la passion, Laura. Pas l'amour. La passion est un jeu dangereux. »

Sa réponse resta en suspens dans le silence. Laura refusait de répondre, une nouvelle fois et jeta un coup d’oeil à la route qu'ils prenaient. Elle comprit rapidement où ils allaient et si elle fronça les sourcils, surprise elle ne prononça pas un mot tant que Lucas ne coupa pas le contact.

« Qu'est-ce qu'on fait ici ?
— Il faut que je te parle. »

Il sortit rapidement de la voiture pour faire le tour et ouvrir la portière passager, laissant Laura sortir à son tour avant de fermer la voiture et de prendre la direction du ponton. L'été, ils venaient souvent quand le temps le permettait. Aujourd'hui, malgré le temps relativement bon pour la saison, le froid tombait vite, comme la nuit et il était déjà dix-huit heures. Que voulait-il lui dire de si important pour l'amener jusqu'au ponton ? Soudainement, cette boule qu'elle avait ressenti dans son estomac quelques heures plus tard recommença à la faire souffrir, plus fort cette fois et Laura fut obligée de poser une main sur son estomac pour retenir la grimace de douleur. Elle leva la tête et elle remarqua que Lucas ne l'avait pas attendu, il filait vers le bout du ponton comme une flèche et elle se mit presque à courir pour le rattraper et garder l'allure. Elle avait été tellement dans ses pensées, dans son tourbillon qu'elle n'avait pas vu qu'il était agité. C'était mauvais. Et son estomac qui ne voulait pas se calmer n'arrangeait pas la chose, qu'est-ce que cette douleur voulait dire à la fin ? Précipitamment, quelques mètres avant le bout du ponton, Lucas finit par s'arrêter pour se retourner vers elle, complètement perdue. Elle n'avait jamais vu ses pupilles si déchaînées, troublées qu'à cet instant et si jusque là, elle n'avait aucun indice, Laura déchiffra tous les signes une simple seconde avant que les mots franchissent les lèvres tremblantes de Lucas.

« Je m’en vais.

Silence.

— Pourquoi, Lucas ? »

Si ses oreilles avaient bien entendu, son cerveau lui semblait ne pas vouloir comprendre le message, il faisait la sourde oreille, comme Laura à son instinct. Laura ne tomberait pas, pas maintenant alors qu'elle avait déjà tant de mal à rester en équilibre sans tomber. Lucas ne lâcha pas son regard une seule seconde, et elle savait qu'il était complètement sérieux. Maintenant, c'était lui qui refusait de lui répondre.

« Lucas ! Cria-t-elle.
— C’est juste terminé ! Tu comprends ?
— Tu me quittes sur un mensonge, surtout.
— Je croyais que les mensonges ne te dérangeait pas. »

Prise à son propre jeu, Laura referma sa bouche, alors qu'elle avait été prête à répliquer quelques secondes plus tôt. Il venait de la piéger. Et il n'avait même pas trembler. Lucas était malade. Il allait mourir, il était condamné et le savait. Mais jamais il ne lui dirait. Non il ne pourrait pas lui dire, il ne devait pas le faire. Jamais. Lucas était égoïste au final, s'il lui disait la vérité, il était convaincu que son regard changerait, qu'il verrait de la pitié dans ses yeux et jamais il ne voulait voir cette lueur dans les yeux de Laura. Ne pouvant plus tenir la distance entre eux, il s'approcha mais la jeune femme tenta d'imposer, dans un dernier acte de dignité, une distance, un trou, un fossé entre eux. Elle voulait le chasser au plus loin, qu'il n'approche pas. Alors Lucas la dépassa sans plus essayer de s'approcher et Laura, elle, ne savait comment réagir. Son cerveau refusait toujours de réagir en conséquences de sa déclaration, son corps par contre, était une autre histoire. Il affaiblissait à mesure que les pas de Lucas s'éloignaient, et elle n'arrivait même pas à le regarder partir pour la dernière fois.

« Je disparais, je te le promets.
— Lucas ! Appela-t-elle en vain.»

Et il la tiendrait, cette dernière promesse.

**

Jamais.

Il avait fini par partir, la quitter. C'était tellement prévisible, pensa-t-elle pour tenter de rationaliser ce qui lui arrivait alors que son maigre corps commençait à trembler. Laura avait finit par tellement reculée qu'elle avait atteint la barrière du ponton, pour s'y accrocher avant de s'y laisser tomber, comme une pauvre poupée de chiffon. La jeune femme était restée quelques minutes à attendre qu'il revienne, Lucas revenait toujours mais sa voiture n'était pas revenue. Et ce fut comme le signal manquant pour son cerveau qui lui renvoya une vague de douleur en pleine figure.
Mais il l'avait contaminé, elle était complètement dépendante de sa présence et tout ce qu'elle en avait dégagé et apporté. Elle avait besoin de lui à ce moment là, elle était totalement incapable de continuer sans lui. Laura était incapable de mettre correctement un pied devant l'autre s'il partait. Et il venait de partir, à jamais. Son esprit déraillait, elle perdait pied. Seconde par seconde, elle sombrait encore plus. Alors qu'avant, elle se trouvait au bord de cette falaise, en équilibre, toujours prête à tomber, à se laisser aller et abandonner, à cet instant elle venait de mettre le premier pied dans le trou. Et elle tomba. Laura s'effondra, elle n'était plus qu'une fille. Qu'elle importance ? Son coeur dépérissait, il pourrissait en cendres.
Mais pire que la perte elle ressentait la trahison couler à travers chaque vaisseau sanguin. Ça brûlait chaque nerf de son système nerveux. Lucas s'était infiltré sous sa peau, même si elle refuserait de l'admettre. Quand cette idée atteignit son cerveau, elle perdit complètement pied. Il était sous sa peau, Lucas l'avait touché, il avait réussit à toucher quelque chose en elle. Elle paniqua. Sa peau la grattait, elle devait se débarrasser de cette sensation, personne n'avait encore été sous sa peau, personne n'avait pu aller si loin. Elle retira sa veste qui la protégeait du vent qui se faisait de plus en plus froid pour ensuite regarder ses mains.

« Je l'ai dans la peau. »

Elle ne pouvait pas, ou plutôt plus se le permettre, elle allait sombrer définitivement sinon. Elle devait se libérer de son emprise et vite. Elle passa ses ongles sur ses bras, qui la démangeait, de plus en plus. Ce n'était pas suffisant. Le souffle saccadé, elle retira ensuite son t-shirt pour passer ses mains sur le haut de sa poitrine et son estomac, ses ongles s'enfonçaient plus profondément maintenant. Vient ensuite ses chaussures et son jean qu'elle balança au loin, elle ne pouvait pas les voir. Ses pieds frappèrent le sol, oh il fallait qu'il quitte sa peau, qu'il ne puisse pas s'infiltrer. Laura ne vit pas le sang couler le long de ses fines jambes, de ses maigres bras et de son estomac. Elle était concentrée sur un seul but. Mais elle n'y arrivait pas, elle perdait patience. Elle sentait toujours cette sensation en elle. Frustrée, brisée, broyée, démolie, fracassée, elle laissa le haut de son corps tomber au sol. Elle frappa le sol de ses poings, du plus fort qu'elle pu, avec le reste de force qu'il lui restait. Rien ne partait, elle s'enfonçait, elle le sentait. De nouveau en colère, Laura laissa un hurlement, puis deux lui échapper. Et elle pourrait toujours courir, vouloir s'enfuir et oublier, tenter d'effacer chaque moment aussi futile soit-il de son esprit mais la vérité était qu'on ne fuit pas l'amour. Oh bien sûr, on pouvait toujours quitter la ville, changer ses habitudes jusqu'à changer de marque de café et arriver à se persuader du contraire pendant quelques instants mais si on aime, rien ne pourra s'oublier. Tout remontera à la surface et laissera des crevasses vides, douloureuses sur chaque passage comme pour nous punir d'avoir tenté d'oublier. Qu'importe la distance, qu'importe ce qui pourrait arriver, l'amour traverse et même Newton ne pourrait rien y faire. Quel bordel pour quelques sentiments, au final, Laura se retrouvait déchirée à cause de ses sentiments, honteuse d'avoir laissé Lucas rentrer dans sa vie.

Idiote, idiote, idiote.

Alors Laura ajusta sa position pour rabattre ses genoux contre sa poitrine et elle commença à pleurer.



« L'amour est insaisissable. C'est un vide intérieur qui se comble. La beauté retrouvée grâce au regard d'un autre. C'est vivre au présent, pour l'avenir, en brûlant le passé. C'est la seule façon de se sentir vivant. » -Rose